Je vais faire court pour ce magnifique roman qui se lit d’une traite. J’avais découvert l’auteur dans une interview, dans le journal Politis. Les promesses de l’article ont été tenues. Cet ouvrage est un régal.
Elisabeth Filhol nous parle de la désinstriualisation. Elle nous invite à suivre la fermeture d’une usine, en quelques jours intenses où la parole des salariés est à l’honneur. Catastrophe sociale, désastre pour un territoire, quand de générations en générations, les familles ont travaillé dans cette société. Alors les délégués syndicaux se rassemblent. Ils décident de prendre le patron en otage.
La couverture est sobre, alors je mets une photo de l’auteur 🙂
Résumé :
Nous, son comité d?accueil, ouvriers, administratifs, agents de maîtrise, avant d?être des voix dans la nuit qui n?auront de cesse de se relayer pour se faire entendre, comme une seule et même voix infatigable et qui ne dort jamais, quand lui tombera de sommeil, avant d?être cette voix une et indivisible, nos corps font bloc. Et c’est un beau matin calme de juillet sous le soleil. On l’attend.
Le privilège de la fiction est de pouvoir forcer les grilles, se fondre dans le collectif, entrer dans le huis clos de la séquestration. Ils sont quatre-vingt sept, un matin de juillet 2007, rassemblés au milieu de la cour de la Stecma, des hommes et des femmes qui pour la plupart n’ont jamais vécu d’occupation d’usine. Dans quelques minutes, Guillaume Mangin, à la tête de l’entreprise depuis dix-huit mois, franchira le portail au volant de son 4×4 Mercedes noir, déterminé à liquider le site avant la fin de l’été.
Elisabeth Filhol nous plonge non seulement dans la vie de l’usine, mais surtout dans celle d’un territoire, façonné par ses industries. Le roman s’ouvre sur un portait géologique de notre monde, des couches et des couches de sédiments qui ont formé du minerais et des matières premières que les hommes ont ensuite exploitées. Retour sur des millénaires de construction terrestre, d’aménagement humain modelé par les ressources de la terre. ça paraît rébarbatif ? Que nenni. L’écriture est belle, fluide, imagée, on est entraîné dans le flux des mots et de l’histoire des hommes. C’est organique. L’auteur explique le contexte en puisant dans la terre.
Et puis, on découvre les hommes et les femmes de l’usine. C’est une salariée qui raconte, une déléguée syndicale. Loin des clichés, on évite le vernis revendicateur qui, souvent présenté superficiellement, masque la profondeur du sujet. J’ai aimé l’amour des territoires et des gens qui le peuplent, qui transparaît dans le texte. La fermeture d’une usine, c’est une tragédie pour les salariés mais aussi pour la région dans laquelle elle s’intègre. Pour avoir assisté, de loin, à des mois d’agonie d’une usine de 300 salariés, j’ai trouvé le texte juste.
Ce qui m’a frappée aussi, ce sont les descriptions précises du paysage, qui dénotent non pas d’une contemplation bucolique, mais de l’impact des activités humaines, et font entrevoir des générations de personnes arpentant ces lieux, leur donnant vie et les façonnant au fil des siècles.
Quant à la prise d’otage, je trouve que c’est un pari risqué pour un auteur de décrire un tel événement. Il faudrait l’avoir vécu et il se situe entre quatre murs, un huis clos inaccessible. Elisabeth Filhol dépeint sans caricatures (à mon sens) ce à quoi peut ressembler une telle prise d’otage.
Mangin, à la tête de l’usine, séquestré, est impressionnant de sang-froid et de langue de bois. Il est haïssable, en quelque sorte, mais l’auteur ne lui jette pas vraiment la pierre. Lui aussi est victime de l’entreprise, du fonctionnement économique qui veut profit profit profit, et s’adapte en fonction de ce qui rapporte. Pas un regard en arrière sur ceux qui ont développé, avec une autre conception de l’industrialisation, une activité qui faisait vivre un territoire.
Bref, ce livre est une beauté. Gros coup de coeur.