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Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë

Un fan art de Leon Nack sur Deviantart (http://leonnack.deviantart.com/)

Des années déjà que je me dis, il faut que je le lise, et bien sûr toujours la même histoire… Le temps passe et je ne le lis toujours pas.

Enfin, j’ai pris le temps de me pencher sur la question. Un petit séjour d’une semaine au Royaume Uni avec escale dans le Yorshire m’a convaincue de l’embarquer dans mon sac en version originale. Au bout de quelques pages, j’ai failli regretter. Qu’est ce qui est passé par la tête d’Emily Brontë pour qu’elle décide de retranscrire dans une écriture barbare l’horrible accent de Joseph, venu du fond de la campagne du Yorkshire, qui mange ses mots comme je dévore du chocolat. On dirait qu’il manque la moitié des syllabes c’est infernal. Enfin malgré ce souci de compréhension (vraiment Joseph quand tu parles, je ne peux pas te lire), la lecture a eu vite fait de m’enchanter.

Après une entrée en matière un peu troublante où on se sent comme le narrateur, à se demander « mais où est-ce que je suis tombé? », le fil se dénoue lentement et on entre dans une enivrante tragédie, l’histoire d’amour (on peut appeler ça comme ça?) de Catherine et d’Heathcliff. Au début, bien peu d’indices laissent soupçonner ce qui va suivre. La brève apparition du fantôme de Catherine donne le ton mais est vite occulté par le récit chronologique complet que nous livre Nelly, la nourrice qui a assisté à toute l’histoire, sur deux générations.

On entre dans le quotidien d’une famille plutôt rurale avec des préoccupations d’abord très terre à terre : l’organisation des journées, le mariage des filles, le futur des enfants. Mais autour d’une histoire de famille qui aurait pu rester plate à mourir, Emily Brontë ajoute une touche de fantastique dans cette lande isolée. Surtout elle créée deux personnages inoubliables : Catherine et Heathcliff.

Fascinant Heathcliff

L’arrivée de cet enfant abandonné sans patronyme chez les Earnshaws va bouleverser deux générations. Tout commence comme un conte de fée, une amitié incassable entre deux enfants, puis sans que rien ne l’ait clairement laissé transparaître, l’irruption d’un amour. (C’est tout l’art de Brontë, suggérer sans dire. J’adore ce trait chez les auteurs qui réussissent ce tour de force). La découverte de cet amour éclate comme est un vrai orage. J’ai rarement été autant émue par une déclaration mais c’est parce qu’elle surgit de nulle part, au moment le plus inopportun, au milieu d’une relation qui paraissait platonique.

« Heaven did not seem to be my home; and I broke my heart with weeping to come back to earth; and the angels were so angry that they flung me out into the middle of the heath on the top of Wuthering Heights; where I woke sobbing for joy.

That will do to explain my secret, as well as the other. I’ve no more business to marry Edgar Linton than I have to be in heaven; and if the wicked man in there, had not brought Heathcliff so low I shouldn’t have thought of it. It would degrade me to marry Heathcliff now; so he shall never know how I love him; and that, not because he’s handsome, Nelly, but because he’s more myself than I am. Whatever our souls are made of, his and mine are the same, and Linton’s is as different as a moonbeam from lightning, or frost from fire. »

Mais après la tempête vient le calme, normalement. Pas ici. Dans les Hauts de Hurlevent, l’apaisement est vicié. Un vrai poison. Je ne veux pas trop en dire pour ceux qui ne l’ont pas lu pardon d’avance, mais il est plus question de haine que d’amour. C’est une espèce de grande folie autodestructrice qui va tout dévaster sur son passage. Et l’acteur principal est un taiseux. Heathcliff lâche difficilement plus de 30 phrases dans ce livre (je n’ai pas compté donc en fait je ne saurais pas dire). Il est omniprésent dans le discours des autres et on touche sa personnalité par leur biais mais il reste très mystérieux. Et fascinant. C’est l’acteur principal de cette pièce de tragédie ou, pour une fois, la fatalité n’a rien à se reprocher.

Voilà donc ce qui m’a plu, cet enchainement diabolique qui pour une fois n’est pas lié au hasard mais à une vraie volonté, complètement paradoxale sur certains points, et qui ne lésine pas pour pousser plus loin encore l’horreur des situations.

Et la fin en est d’autant plus appréciable. J’en dis pas plus et je fais comme Heathcliff : je me tais.